A toutes
celles ou ceux qui ont pu avoir ce genre de mésaventures, mais surtout à celles
et ceux qui les font subir, j’écris ceci. Nous sommes toutes et tous
professeurs, instituteurs, certifiés ou pas, titulaires ou pas, perfectibles ou
pas, ambitieux ou pas, arrivistes ou moins, jaloux ou admiratifs, diplômés ou
moins, joyeux ou tristes, malades ou vaillants, avec vocation ou sans, jeunes
ou anciens. Néanmoins, une seule aptitude devrait nous réunir, le respect des
élèves quel qu’ils soient, pour leur réussite
Après avoir
menuisé ma joie avec des élèves en SEGPA, j’ai donc été promu au grade de
professeur en Lycée Professionnel. Non pas que mon inspecteur ait décelé dans
mes enseignements une aptitude essentielle, ou qu’il ait voulu m’épargner une
pénitence perpétuelle en SEGPA, mais pour des raisons de mutation qu’il fallait
que j’envisage pour m’épargner un long trajet. Après tout, j’étais prof comme
les autres, et titulaire d’un concours que je n’avais peut être pas mérité mais
nullement usurpé.
J’ai donc
quitté avec regrets cette SEGPA et sa kyrielle d’élèves oubliés, ou égarés, que
mes collègues et moi-même avions tenté de séduire et de promouvoir à l’échelon
d’élèves respectables et respectés. Un pot d’adieu avec ce Directeur de SEGPA
que je n’oublierais jamais tant il était conciliant et bienveillant. A
l’endroit céleste ou il se trouve, je sais qu’il comprendra mes remerciements.
En septembre
2003, j’ai donc posé ma caisse à outils dans l’atelier d’un LP savoyard. Cet
atelier bien que dans un état de délabrement ahurissant, il était malgré tout, parfaitement
équipé de machines et d’appareillages pour un enseignement de qualité.
Nous étions
14 professeurs du bois, menuisiers, charpentiers et ébénistes. C’était
chouette, j’allais enfin pouvoir partager nos expériences, nos particularités,
nos concepts. Echanger nos pratiques, discuter de nos parcours atypiques, faire
connaissance. J’ai vite déchanté le jour
même en réunion de cette prérentrée concernant l’affectation des postes.
J’étais le dernier « parvenu » dans l’établissement et sur la feuille
de DHG figurait un Monsieur X, qui fut vite complété par mon patronyme. J’avais
donc l’insigne honneur de prendre la classe des CAP. Mon prédécesseur parti à
la retraite, était en charge de ces classes réputées difficiles, voire
ingérables. Il était fatigué, usé par un AVC qui l’avait amoindri, je pense à
toi « Loulou ».
J’ai tout de
même osé susurrer une petite question aux collègues sous la direction d’un chef
des travaux souriant, mais pas affable. « Pourquoi est-ce moi qui prend
les CAP » ?
C’est comme
si j’avais questionné le diable. Un feu de paroles abusa ma faible
patience : « C’est comme ça, tu arrives le dernier, et tu prends ce
qu’il y a ».Je n’ai pas su quoi répondre à cette remarquable salve de
bienvenue. J’allais donc en rester sur ce postulat, lorsqu’un professeur d’une
trentaine d’années, bien mieux dans ces pompes, que dans sa tète de Gepetto
fraichement éclos, rajouta : « Moi, je n’ai pas fait des études pour
enseigner à des CAP ». Je venais de comprendre dans quel rucher je m’étais
fourré. Non seulement, j’étais le nouveau, mais de surcroit, je n’avais pas à ses
yeux, le niveau requit pour élever des BAC Pro ou des BEP.
En aparté, avec
mon chef des travaux, toujours pas aimable, j’ai tout de même formulé deux
exigences, puisqu’il semblait que cette classe rebutât la gent « boiseuse ».
J’ai donc obtenu d’avoir la gestion seule de cette classe en enseignement pro, et
un emploi idyllique sur 3 jours hebdomadaire, en justifiant ma requête sur la nécessité
que cette classe ait un seul référent professionnel et une continuité
pédagogique suivie à l’atelier. Ma demande fut exhaussée sous la réprobation et
l’indignation de 3 collègues scandalisés
dénonçant un privilège anormal. Ils m’ont jalousé, j’étais aux anges. J’avais
gagné mon billet d’entrée dans ce guêpier. En revanche, je venais de perdre ma
confiance vis-à-vis d’un collectif. Après ce déplorable préliminaire d’une
rentrée scolaire ordinaire, j’ai reçu mes 14 élèves dans une salle exiguë,
surchauffée sous les tôles d’un atelier poussiéreux. J’ai retrouvé le style
SEGPA que j’avais connu les années précédentes. J’avais en prime la joie de
reconnaître deux anciens élèves de ma SEGPA, ils étaient hilares et déjà les
meneurs de ma petite troupe réputée ingérable. Je n’ai pas boudé mon plaisir de
les mettre en exergue et de leur demander de raconter ma personnalité complexe.
Le reste de
l’année, ils ont pu exprimer librement et calmement, à l’établi, et sur les
machines-outils, leurs motivations pour ce métier difficile. Ils ont contribué
largement à la fabrication d’ouvrages confectionnés, avec une autonomie guidée
par mes acquiescements technologiques, et sécuritaires. J’ai parfois porté le
verbe, et la voix haute, pour faire cesser quelques gamineries adolescentes,
mais je n’ai jamais eu recours à l’assistance de nos deux CPE que je salue ici
pour leurs difficiles missions éducatives. J’ai eu trois échecs que l’absentéisme n’a pas
pu secourir. C’était assez normal, lorsque l’on est trop absent, on ne peut pas
bien percevoir la vraie vie, car on rate le nécessaire, et même le futile
parfois.
Aujourd’hui,
je regarde cela avec distance physique dans me distancier socialement ;
sans jamais avoir oublié cet incident parmi tant d’autres qui peuvent
déstabiliser et abîmer un parcours. Je pense à mes nombreux (ses) collègues
dans les ateliers de, menuiserie , métallerie, peinture, maçonnerie, et autres
, qui devront masquer obligatoirement leur visage pour éviter un virus ; alors
que pendant des dizaines d’années l’éducation nationale s’est moquée d’eux en
ne leur protégeant pas les voies respiratoires contre des poussières cancérigènes.
Quelle triste contradiction !
Force et
courages à toutes et tous.
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