Ma
réponse à un coiffeur.
Chers
(es) collègues, pour faire taire des rumeurs concernant notre peu d’entrain
pour un travail si bien rémunéré et avec tant de vacances, voici mon texte. En espérant
que nos détentes scolaires méritées puissent vous ragaillardir.
Il y a
deux semaines j’étais donc chez mon coiffeur, il a le teint blême, le crane
glabre et il se prénomme Jean Michel. Je vous assure que toute ressemblance
avec quelqu’un que vous pourriez connaitre ne pourrait être que très fortuite.
C’est donc
en allant faire raser mon crane chauve qu’une petite discussion sympathique à
pu naître entre nous deux. J’ai tout de même eu droit à la sérénade sur nos
nombreuses vacances, nos salaires extravagants, nos 18 heures hebdomadaires de
travail, nos privilèges, nos manifs, bref toutes ces discussions de bistrot que
même un petit coiffeur de village peut tenir sans avoir fait un excès de
houblon.
J’ai
juste répondu ce que je pensais savoir de mon métier d’enseignant en lui
faisant remarquer que nous allions avoir une pomme de discorde sur le sujet. Une
quoi me demanda t-il ? Non rien ce n’est pas grave. La pomme est véreuse
je l’ai jetée.
Tout d’abord
j’essaye de lui expliquer notre année scolaire de 36 semaines, et oui, uniquement
36 semaines à rien branler. Il est médusé, mon auguste crane glabre comme le
sien n’en même pas large. Afin d’éviter que son rasoir affuté ne blesse mon
cuir chevelu j’argumente aussitôt en disant que notre petit boulot ne se limite
pas à notre seul temps de présence devant les élèves. Même si cette idée reçue
circule dans des médias tres investigateurs dans le mensonge, je dois corriger
le tir afin de rétablir une courte vérité et l’absoudre de quelques certitudes.
J’explique
que par exemple un athlète qui court le 100 m aux Jeux Olympiques ne
travaille pas que 10 secondes tous les 4 ans, qu’un pilote de ligne ne
travaille pas que pendant la durée du vol, qu’un chirurgien ne travaille pas que pendant la durée de
l’opération. Et pour m’attirer ses bonnes grâces et son attention, qu'un
coiffeur ne travaille pas que durant les heures d'ouverture de son salon. Pour
considérer la totalité de notre temps de travail, il faut prendre en compte la
réalité du métier. Soudain le visage sombre de mon coiffeur semble s’assouplir
dans une compassion presque obséquieuse. Ses petites lunettes rondes ne cachent
pas son attendrissante compassion. Avant qu’il ne rate complètement ma coiffure
fantasmée, je poursuis son instruction sur notre petit métier privilégié.
Il y a les cours, la préparation des cours, la correction
des copies, les échanges pédagogiques avec les autres professeurs, les
coordinations avec l’ensemble des membres de l’équipe pluri professionnelle :
CPE, Psy-ÉN, infirmières, assistantes sociales, chef d’établissement et son
adjoint, AED, intendance, gestionnaire, chef de travaux et son adjoint, le
magasinier… Les multiples réunions convoquées par la hiérarchie, les réunions
et rencontres avec les parents d'élèves (et les réponses aux mails, ENT,
appels...), le temps consacré à l'accompagnement des élèves, Les visites
d’entreprise, les temps de transport entre les établissements pour les
professeurs affectés sur plusieurs collèges ou lycées, la mobilisation pour la
surveillance, la participation à la correction et aux jurys des examens, le
bachotage de sujets, la productions de ces mêmes sujets d’examens ...
La réalité, mon cher coiffeur c'est qu'un professeur certifié,
un professeur des écoles, et même le petit PLP que je suis travaillent en
moyenne 42H53 par semaine (étude de la DEPP).Ce n’est même pas moi qui proclame,
mais la très sérieuse (Direction de
l'évaluation, de la prospective et de la performance.). Les professeurs des écoles, oui Monsieur le
coiffeur, ces institutrices et instituteurs de mes années 60, que
nostalgiquement je me plais toujours à nommer instituteurs.
Et puis,
puisque votre curiosité m’interroge cher coiffeur, sachez que selon une étude prospective d’un syndicat que
je ne citerais pas pour ne pas engager ce sujet de discorde, ce temps de
travail est même de 44h48 concernant ces instituteurs. Mon coiffeur n’en croit pas ses oreilles
lorsque je lui dis que si l’on rajoute
des temps non-mesurés (préparation pendant les vacances, moments de prérentrée
et journée de solidarité), on dépasse donc largement les 1612 h, durée annuelle
du travail d’un fonctionnaire.
Et sans compter cher coiffeur Jean Michel,
nos réunionites chronophages, réunions et conseils en tout genre. Toutes ces
activités transversales et périphériques tellement éloignées du cœur du métier,
mais qui pèsent tant sur notre disponibilité pour nos élèves.
Alors oui 648 heures c’est le temps d’enseignement
statutaire des enseignants du second degré. S’il est légèrement inférieur aux
669 heures en moyenne dans l’OCDE, il est supérieur à l’Italie (616) ou des
pays cités en exemple pour leur performance comme le Japon (562) ou la Corée du
Sud (549). Plus de 500 C’est le nombre d’élèves que peut avoir un professeur
d’éducation musicale, de SVT, ou d’arts plastiques en collège ou lycée avec
jusqu’à 20 classes. Pas facile de couper les cheveux en quatre dans ces conditions.
Le rire s’installe, ma tête toujours entre ses mains fébriles. Mes cheveux ne
sont plus à couper en quatre, ils l’étaient il fut un temps, temps révolu.
Alors avant
de conclure ma coupe de cheveux il m’avance le dernier argument que même un
éminent journaliste sportif de BF Merdias à osé reprendre ; Et toutes ces
vacances ?
Je ne me démonte pas vraiment en lui disant
que l’on ne peut pas confondre être en vacances et partir en vacances... Pour
la majorité d’entre nous, on ne jette pas le cartable au fond du jardin pour
partir aux Baléares ou ailleurs 2 mois d’été tout frais payés.
Remettre à
jour ses cours en prenant le temps de se documenter, revoir ses supports, ses
documents, revoir sa progression ; Et puis, consulter des livres des documents,
des revues techniques , des sites, des documentaires qui viendront plus tard
alimenter de nouveaux cours. Et la liste n’est pas exhaustive monsieur Jean
Michel.
Sans compter
ce petit détail dont on ne parle pas et pour cause, l’augmentation des effectifs donc plus de
stress, plus d’énergie dépensée dans la gestion de classes, de surcroît très
hétérogènes, et l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers. Les ULIS
(en situation de handicap), Non, non, Jean Michel pas Ulysse et ses sirenes, UPE2A
(allophones). Ce sont des élèves dont la présence dans les classes est bien
réelle, souvent compliquée par la nécessité d’adapter les dispositifs
pédagogiques à leurs particularités individuelles. Nos Classes surchargées,
c’est plus de copies, de bulletins, de réunions, de conseils...
Mon supplice
capillaire arrive presque à son terme, il est temps de payer ma coupe rase.
Mon coiffeur
est plus affable et fier de son travail, et de notre petite demi-heure de
conversation presque inutile. Au faite Monsieur le Professeur combien gagne un
prof svp ?
Cette
terrible question aurait presque pu retentir comme une ultime brimade. Mais
comme il s’était radouci et que mon auguste crane n’était plus entre ses mains
expertes j’ai osé le lui dire. Son œil malicieux semblait jouir de mon
hésitation, mais j’ai osé le lui dire.
Si je prends
le salaire moyen net d’un professeur à 1900 euros mensuel, je pense pouvoir
dire selon les donnés tres scrupuleuses et documentées de notre institution que
l’on gagne environ 15.06 euros de l’heure. Pas mal tout de même pour nous qui
sommes en vacances si souvent, même si nos quelques études universitaires ne
sont qu’un souvenir à oublier.
Combien je
vous dois Monsieur Jean Michel svp ? Heuuuuu, je vous fais un prix, je ne
compterais pas pour vous ma petite taxe COVID, masque et gel hydro-alcoolique.
Vous me devez 24 euros.
Au revoir
Monsieur Jean Michel, et merci de m’avoir écouté, ce fut un réel plaisir pour moi.
Pas de quoi Monsieur le Professeur revenez quand vous le voulez.
Nous nous quittâmes,
moi un peu délesté, lui un peu plus riche d’information et d’enseignement.
Force et
courage à toutes et tous
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