Mes débuts d’enseignant.
C’était, il n’y a pas si longtemps, mais j’ai gardé ce
souvenir précis.
A 43 ans j’ai obtenu le sésame un jour de juillet 1999.Un
concours CAPLP2 arraché aux forceps de l’intransigeance administrative, sous les pointilleuses questions
d’un jury étonné. Mais qu’est donc venu faire ce bonhomme dont l’âge n’est plus
conforme au progrès. Il est bien vrai que j’étais vieux jeu parmi la jeunesse
de ma promotion. Complexé, je le fus pendant mes deux années d’école
supérieure. Je devais m’adapter aux circonstances, paraître d’un temps moderne,
et réviser triplement.
Les résultats furent publiés sur Minitel, et je n’en croyais
pas mes yeux, que ce petit écran convexe puisse retenir mon nom, et cette
petite mention qui le précédait d’un
terme jouissif : ADMIS.PLP (GIB). Génie industriel Bois. Me voici à ce
moment génialement reconnu, même si
cette victoire fut entachée d’une mention invisible, j’avais mon permis
d’instruire. Un jeune collègue m’a dit de suite : « Tu l’as échappé
belle GIGI ». Je me souviens lui avoir répondu « ils ont eu
pitié ».J’ai appris plus tard que la pitié n’a aucune place dans
l’institution qu’est la nôtre. J’ai festoyé le mois d’août pour arroser par Bacchus
une réussite improbable. Je m’élevais socialement pour fuir ma condition
d’ouvrier. Je ne savais pas encore que cet ascenseur social n’était qu’une
lubie, et que les rêves n’ont qu’une lointaine parenté au réel. A contrario,
lorsque j’étais ouvrier, je savais qui j’étais, aucune fierté à faire valoir,
seule la joie d’avoir terminé ma
journée.
Mon premier poste en septembre en SEGPA s’apparente au
bizutage du néophyte auquel il faut faire subir l’ultime outrage d’une
difficulté spécifique. J’ai su ensuite que l’attribution de nos postes était en
rapport avec la performance acquise lors du concours. Les promus bien classés
obtinrent la quintessence des lycées pro. Quant à moi, il me fut échu ce que
d’aucuns présentaient comme la terrible lie scolaire. J’ai passé les quatre
plus belles années de mon enseignement dans cette fange discréditée. Finalement,
je me suis senti chez moi au milieu d’élèves désorientés, mais terriblement
attendrissants quand ils ont décidé de l’être. Et pour qu’ils le soient, je me
suis hissé à la hauteur de leurs lacunes pour valoriser ce qu’ils ne savaient
pas écrire ou dire. Puis vint l’épreuve d’une inspection pour titulariser ma
fonction et juger ma prestation pédagogique. Ils ne furent pas déçus, je dis
« ils » car j’ai eu droit à une tribune d’experts, l’inspecteur bien
évidemment flanqué du Directeur de la SEGPA, du Principal du collège, de mon
« tuteur », et de deux collègues PLP surpris de mettre les pieds dans
une SEGPAA sans se faire agresser. Comme je n’avais pas prévenu mes élèves, l’accueil
fut chaleureux, débordant, bruyant, vivant quoi. J’ai compris par la suite que
je n’avais pas marqué mes premiers points de promotion, pourtant, j’ai fait
comme d’habitude. Mais la vue des costards cravates, à certainement provoqué
cette hilarante vivacité de mes élèves, plus habitués à ma blouse bleu qu’a un
costume d’apparat. Ils ont même eu droit sur le parquet de mon atelier à une
petite démonstration de hip-hop improvisée que je n’avais pourtant pas prévue
dans l’exposé de mes démonstrations d’usinage. L’inspecteur mit un terme rapide
à cette inspection en interrogeant ma capacité à tenir ma classe. Il m’a vexé
et j’ai vite présenté mes excuses en lui suggérant quand même d’aller voir ma
petite exposition d’objets confectionnés par cette bande de mécréants. Il n’a
pas cru un seul instant qu’ils puissent confectionner quoique ce soit et mal
lui en a prit de ne pas croire en leurs capacités. Un élève m’a interpellé brièvement en me disant « M’sieu,
montrez lui à lui pour qu’il ferme sa bouche ». « Ouais M’sieu,
montrez lui le film ». Ils étaient fiers d’avoir participé à mon petit
film qui montrait dans un savant montage vidéo toute leurs activités
technologiques et professionnelles. On les voyait sérieux, disciplinés,
attentifs, soucieux et passionnés de réussir les usinages et montages de leurs
ouvrages. Ce jour, la, mon caméscope personnel m’a sauvé la mise. Après les 35
minutes de projection, dans un silence qu’envierait un professeur du lycée Henri
IV, il m’a juste dit : Monsieur on reparlera de tout ça. Je ne l’ai plus revu,
j’ai reçu son rapport d’inspection et sa note un mois plus tard. Je n’ai retenu
qu’une phrase de son rapport « Professeur très, très, très perfectible
malgré un savoir-faire évident ». Sa note a freiné durablement mes
ambitions, mais j’ai survécu.
Gardez la forme , rien n’est perdu .
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