mardi 25 août 2020

J'ai été enseignant


Mes débuts d’enseignant.

C’était, il n’y a pas si longtemps, mais j’ai gardé ce souvenir précis.
A 43 ans j’ai obtenu le sésame un jour de juillet 1999.Un concours CAPLP2 arraché aux forceps de l’intransigeance  administrative, sous les pointilleuses questions d’un jury étonné. Mais qu’est donc venu faire ce bonhomme dont l’âge n’est plus conforme au progrès. Il est bien vrai que j’étais vieux jeu parmi la jeunesse de ma promotion. Complexé, je le fus pendant mes deux années d’école supérieure. Je devais m’adapter aux circonstances, paraître d’un temps moderne, et réviser triplement.
Les résultats furent publiés sur Minitel, et je n’en croyais pas mes yeux, que ce petit écran convexe puisse retenir mon nom, et cette petite mention qui le précédait  d’un terme jouissif : ADMIS.PLP (GIB). Génie industriel Bois. Me voici à ce moment génialement  reconnu, même si cette victoire fut entachée d’une mention invisible, j’avais mon permis d’instruire. Un jeune collègue m’a dit de suite : « Tu l’as échappé belle GIGI ». Je me souviens lui avoir répondu « ils ont eu pitié ».J’ai appris plus tard que la pitié n’a aucune place dans l’institution qu’est la nôtre. J’ai festoyé le mois d’août pour arroser par Bacchus une réussite improbable. Je m’élevais socialement pour fuir ma condition d’ouvrier. Je ne savais pas encore que cet ascenseur social n’était qu’une lubie, et que les rêves n’ont qu’une lointaine parenté au réel. A contrario, lorsque j’étais ouvrier, je savais qui j’étais, aucune fierté à faire valoir, seule la joie d’avoir  terminé ma journée.
Mon premier poste en septembre en SEGPA s’apparente au bizutage du néophyte auquel il faut faire subir l’ultime outrage d’une difficulté spécifique. J’ai su ensuite que l’attribution de nos postes était en rapport avec la performance acquise lors du concours. Les promus bien classés obtinrent la quintessence des lycées pro. Quant à moi, il me fut échu ce que d’aucuns présentaient comme la terrible lie scolaire. J’ai passé les quatre plus belles années de mon enseignement dans cette fange discréditée. Finalement, je me suis senti chez moi au milieu d’élèves désorientés, mais terriblement attendrissants quand ils ont décidé de l’être. Et pour qu’ils le soient, je me suis hissé à la hauteur de leurs lacunes pour valoriser ce qu’ils ne savaient pas écrire ou dire. Puis vint l’épreuve d’une inspection pour titulariser ma fonction et juger ma prestation pédagogique. Ils ne furent pas déçus, je dis « ils » car j’ai eu droit à une tribune d’experts, l’inspecteur bien évidemment flanqué du Directeur de la SEGPA, du Principal du collège, de mon « tuteur », et de deux collègues PLP surpris de mettre les pieds dans une SEGPAA sans se faire agresser. Comme je n’avais pas prévenu mes élèves, l’accueil fut chaleureux, débordant, bruyant, vivant quoi. J’ai compris par la suite que je n’avais pas marqué mes premiers points de promotion, pourtant, j’ai fait comme d’habitude. Mais la vue des costards cravates, à certainement provoqué cette hilarante vivacité de mes élèves, plus habitués à ma blouse bleu qu’a un costume d’apparat. Ils ont même eu droit sur le parquet de mon atelier à une petite démonstration de hip-hop improvisée que je n’avais pourtant pas prévue dans l’exposé de mes démonstrations d’usinage. L’inspecteur mit un terme rapide à cette inspection en interrogeant ma capacité à tenir ma classe. Il m’a vexé et j’ai vite présenté mes excuses en lui suggérant quand même d’aller voir ma petite exposition d’objets confectionnés par cette bande de mécréants. Il n’a pas cru un seul instant qu’ils puissent confectionner quoique ce soit et mal lui en a prit de ne pas croire en leurs capacités. Un élève m’a interpellé  brièvement en me disant «  M’sieu, montrez lui à lui pour qu’il ferme sa bouche ». « Ouais M’sieu, montrez lui le film ». Ils étaient fiers d’avoir participé à mon petit film qui montrait dans un savant montage vidéo toute leurs activités technologiques et professionnelles. On les voyait sérieux, disciplinés, attentifs, soucieux et passionnés de réussir les usinages et montages de leurs ouvrages. Ce jour, la, mon caméscope personnel m’a sauvé la mise. Après les 35 minutes de projection, dans un silence qu’envierait un professeur du lycée Henri IV, il m’a juste dit : Monsieur on reparlera de tout ça. Je ne l’ai plus revu, j’ai reçu son rapport d’inspection et sa note un mois plus tard. Je n’ai retenu qu’une phrase de son rapport « Professeur très, très, très perfectible malgré un savoir-faire évident ». Sa note a freiné durablement mes ambitions, mais j’ai survécu.
Gardez la forme , rien n’est perdu .

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